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Alma, Anne Gito, Antigone, Créon, Mémoire fauve, paranoïa, Philippe Will
Titre : Mémoire fauve
Auteur : Philippe Will
Éditeur : Alma
Anne est internée chez les dingues. A juste titre, cela semble acquit. Mais pourquoi ? C’est tout l’objet mais pas le seul de ce livre.
On sait, ou l’on devine, qu’Anne a fréquenté un club de fitness, qu’elle y a rencontré un homme, que cette relation était bizarre et qu’elle a débouché sur son internement psychiatrique. La première et courte partie du livre est le récit, fantasmé, de ce passage de l’histoire par Anne elle-même et qui s’est déroulée avant son internement. Elle est très déroutante, totalement fantasmagorique et rend compte des problèmes psychologiques d’Anne sans que l’on puisse parvenir à la cataloguer, à mettre un nom sur sa maladie, ni à comprendre vraiment ce qui s’est réellement passé. La seconde partie, toujours racontée par Anne mais dans un style beaucoup plus classique, permet à Philippe Will de nous faire cheminer avec sa patiente amnésique vers la vérité, de remettre les choses à l’endroit, ou presque.
« Mémoire fauve » parle de la paranoïa au sens large avec beaucoup d’intelligence et de subtilité, mélange plusieurs types de livres, relevant à la fois du polar, du roman psychologique, de la blanche. Il est à la croisée de tout cela et s’en sort plutôt très bien. Le livre parle aussi de vengeances croisées, de règlement de compte chez les dingues.
D’une lecture facile et fascinante, sans poncifs médicaux insupportables mais avec une approche technique généraliste et pourtant précise et presque académique, le roman de Will se révèle une façon à la fois ludique et perverse de s’intéresser à la paranoïa, à la mémoire et aux mécanismes de l’esprit. On est à la fois rebuté et attiré par le personnage complexe d’Anne : rebuté par ses troubles mentaux, par son côté manipulateur (que ce soit vis-à-vis des autres pensionnaires de l’hôpital psychiatrique, de son thérapeute, lui-même personnage plus alambiqué qu’il n’y paraît, ou des lecteurs…), par les bribes de sa vie que l’on découvre, par la table rase qu’elle a fait de son passé, par le pseudo qu’elle prenait sur Internet, Antigone, pour communiquer avec une personne qui se faisait appeler Créon[1] dans une relation qui synthétise la confrontation du « pour » et du « contre », l’opposition du yin et du yang, mais attiré par cette fille intelligente dont on voudrait qu’elle ne soit qu’une malade mentale irresponsable plutôt qu’une malade mentale totalement responsable de ses actes, par la reconstruction qu’elle appelle de tous ses vœux… pour finalement applaudir à la conclusion inattendue de ce livre même si on s’en veut de s’être laissé berner pendant une bonne partie du livre (j’avoue avec un certain plaisir avoir entrevu la clef de l’internement d’Anne avant la révélation qu’en fait l’auteur ; j’avoue également que je ne l’ai entrevu que peu de temps avant la dite révélation).
Il est malheureusement difficile d’être plus précis ou loquace sans dévoiler ce qui fait justement le sel de ce livre… A chaque lecteur de se faire une idée plus complète.
Un livre qui ne tombe pas dans le pathos, qui ne joue pas sur une tension dramatique artificielle mais qui est parfaitement construit(e) (le livre et la tension), qui invente dans sa première partie un langage énigmatique et qui pourtant renferme tout ce qu’il faut pour comprendre l’intrigue : en résumé une excellente découverte.
[1] Antigone est la fille de l’union incestueuse d’Œdipe et Jocaste et la sœur de Polynice, Étéocle et Ismène. Suite à la « guerre des sept chefs » au cours de laquelle Polynice et Étéocle s’entre-tuent, elle se lamente sur cette disparition avec sa sœur. Un héraut vient leur livrer l’ordre de Créon (leur oncle et nouveau roi de Thèbes) de laisser le corps de Polynice sans sépulture comme traître à la Cité. Antigone annonce qu’elle enterrera son frère malgré tout. Le roi Créon essaye de la persuader de ne pas le faire pour ne pas avoir à punir de mort sa nièce. Antigone, entêtée, le fait quand-même, et se fait tuer par Créon.
L’art d’écrire ne serait rien sans l’art de lire— Merci infiniment. Philipe W
Vraiment de rien… ce fut un plaisir à lire.