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Titre : Ma sœur, serial killeuse
Auteur : Oyinkan Braithwaite
Traduction : Christine Barbaste
Éditeur : Delcourt
Histoires de famille
Korede est la grande sœur d’Ayoola. Korede est là pour protéger la petite sœur. Du coup, Korede est la femme responsable, infirmière d’un grand hôpital de Lagos au Nigéria, celle qui assume le rôle qui lui échoit, en l’absence du père, mort plusieurs années auparavant. Ayoola est la petite sœur plus délurée, moins réfléchie, plus futile et plus impulsive que Korede, presque littéralement inconsciente ; Ayoola est plus belle que son aînée, c’est elle qui papillonne d’homme en homme. Hommes qui ont la très mauvaise idée de succomber sous les coups de couteau donnés par Ayoola et que Korede maquille en simples disparitions.
On ne sait d’ailleurs pas quelle est la part d’assassinat ou de légitime défense dans les gestes d’Ayoola mais dans le doute, Korede intervient pour protéger sa sœur et étouffer les corps. D’ailleurs, comment le père est-il lui-même mort ?
Tout est remis en cause quand Ayoola jette son dévolu sur Tade, le beau médecin qui travaille dans le même hôpital que Korede et dont celle-ci est secrètement amoureuse sans oser faire le premier pas. La seule audace dont elle fait preuve concerne Muhtar, un malade de son service, plongé dans le coma à qui elle raconte tout : sa sœur, ses « crimes » si tant est qu’ils en sont, ses interventions pour la protéger et bien entendu son amour contrarié pour Tade.
La vraie question ne réside pas tant dans la résolution du conflit qui oppose la culpabilité ou l’innocence d’Ayoola que dans celle du conflit qui oppose Korede et Ayoola pour le cœur de Tade. Quelle attitude doit adopter Korede : continuer à protéger sa sœur ou sauver Tade ? Et surtout, quelle attitude peut-elle adopter ?
Parce que dans cette histoire, tout se juge à l’aune des relations familiales. Ainsi en va-t-il de l’histoire racontée par Oyinkan Braithwait sur les relations entre Ayoola, Korede et leur père. Ainsi en va-t-il de la figure paternelle par opposition à la figure maternelle. Ainsi en va-t-il de la place accordée par la société nigériane aux aînées et aux puînées.
Toute leur jeunesse, les deux sœurs ont été oppressées par la volonté d’un père aujourd’hui décédé : violences physiques du père, son dirigisme, la soumission qu’il leur impose et l’arrangement des mariages à des fins personnelles d’argent et de pouvoir.
Au passage, Oyinkan Braithwait en profite pour égratigner certains penchants de la société nigériane, notamment la corruption qui la gangrène ou le machisme dans lequel elle est engoncée.
Ayoola est un peu stéréotypée à mon sens : elle est brut de décoffrage et extrême dans sa futilité, son inconscience. Mais tout cela n’est-il pas plutôt une façade qu’Ayoola brandit comme une muraille contre les différentes sources d’oppression qu’elle a subies dans sa vie ?
Korede est moins monobloc sans pour autant offrir trop d’aspérités aux autres. Elle est timide, introvertie et doit pourtant assumer pour deux tout en étant celle qui se met en opposition à sa mère qui, pour le coup, prend systématiquement la défense d’Ayoola. Korede se rigidifie au fil de l’histoire.
Oyinkan Braithwait, pour un premier roman, maîtrise la structure de son récit, entre la narration de l’histoire avec le père, celle de la relation des sœurs entres elles et avec Tade et celle des histoires d’amour contrariées passées d’Ayoola. Elle fait mouche aussi avec ses personnages qu’elle prend et triture, qu’elle fait souffrir, qu’elle manipule.
Et qui plus est, Oyinkan Braithwait fait tout cela avec une touche d’humour et d’ironie qui fait mouche à chaque fois.