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Titre : L’enfant thérapeute
Auteur : Samuel Dock
Editeur : Plon
Généalogie de la violence et histoire de la réconciliation
De nombreuses choses à propos de ce livre son « difficiles ». L’histoire d’abord, parce qu’elle est personnelle à l’auteur, parce qu’elle possède tant de sombres (et c’est un euphémisme) facettes, parce que, quand bien même est-elle porteuse d’espoir, elle est tout sauf un long fleuve tranquille qui se jetterait dans la mer (dans la mère, si j’osais) mais plutôt un féroce torrent qui achèverait sa course dans une eau tumul.tueuse. Les circonstances ensuite parce que je suis Samuel Dock depuis quelques années et plusieurs ouvrages mais dont jusqu’ici aucun n’était une œuvre littéraire de fiction comme celle-ci (même basée intégralement sur des faits réels), il s’agissait d’essais ou d’entretiens, parce que notre relation n’est pas basée que sur un lien auteur-blogueur et que cela complique nécessairement la lecture si tant est qu’elle devait s’avérait décevante (rassurez-vous, c’est tout le contraire). La personnalité de l’auteur enfin, parce que sa vie, et celle de sa mère, décrites dans les pages de « L’enfant thérapeute », étant pleines de fissures et parce que son métier est justement de les décrypter, cela m’oblige à la fois à prendre des pincettes vis-à-vis de lui et à tenter, peut-être vainement, de ne pas écrire de bêtises et d’âneries.
Dernière difficulté, très personnelle : comment organiser ce billet pour tout dire, sans se répéter et le faire clairement ?
Commençons par la forme, parce qu’il faut bien commencer quelque part, même si forme et fond sont intimement imbriqués l’une avec l’autre et qu’ils se répondent et s’expliquent sans arrêt. Le roman est découpé en trois parties. La première et la troisième partie sont le récit par Samuel de son histoire. La première est plutôt sombre, remplie de colère, de rage ; la troisième est plus apaisée et empathique. Elles sont séparées par une deuxième partie très différente : il s’agit du journal intime de la mère de Samuel. Sa particularité n’est pas dans le fait que les évènements qui y sont relatés seraient inventés, bien au contraire, mais dans celui que le rédacteur de ce journal n’est pas Béatrice, la mère de Samuel, mais Samuel lui-même. Il l’a rédigé à partir des quelques notes éparses de sa mère se rapportant à son enfance et à sa vie.
Le ton et l’esprit de cette deuxième partie sont donc radicalement différents de ce que l’on lit dans les deux autres. Tout d’abord parce qu’en cherchant à utiliser les mots qu’aurait pu prendre sa mère pour s’exprimer, il adopte de facto un autre vocabulaire, un autre style. Ensuite parce que c’est le récit d’une mère qui n’a pas fait les études de son fils et ne travaille pas dans le même domaine de compétences. Il n’y aurait eu aucune logique à ce que les trois parties expriment la même chose, de la même façon, avec le même vocabulaire et les mêmes idées, ou cherchent à endosser le même rôle. En cela, Samuel Dock se sort parfaitement du piège stylistique qu’il se tendait lui-même en créant ces trois différentes partie.
Les deux premières parties sont « purement » autobiographiques mais jouent ouvertement la carte de l’analyse et de l’interprétation tandis que la deuxième reste une transcription, libre, de faits réels et se borne à être plus factuelle (elle est aussi après tout le récit de la vie d’une petite fille de 3 à 5 ans puis d’une adolescente désemparée et incrédule qui n’a pas les outils pour comprendre ce qui lui arrive). On oscille entre œuvre de fiction et entre témoignage romancé. Cette incertitude, certes relative, participe pourtant au vacillement des vies décrites, à la violence des actes perpétrés par certaines personnes et subis par les victimes.
Les trois parties sont toutefois toutes écrites à la première personne du singulier. Le « je » est donc pluriel : il est Samuel dans les première et troisième parties, il est Béatrice dans la deuxième mais il y est aussi Samuel derrière Béatrice puisque c’est lui qui exprime sa mère. Il y a une manière ici pour Samuel de revisiter l’enfance et l’adolescence de sa mère pour mieux la comprendre et mieux se comprendre. Et surtout mieux comprendre les mécanismes qui se sont joués au long de leurs deus vies.
La question qui affleure à chaque page réside dans le combat, apparemment vain, mené par Samuel et par sa mère. Cette dernière, en premier lieu, a bâti sa vie d’adulte, en tant que mère, pour essayer de ne pas reproduire le schéma violent créé par ses parents. Et pourtant, en faisant cela, elle n’a fait que répéter le rejet qu’a été son enfance en ignorant son fils pour se focaliser sur la sœur de Samuel, atteinte d’anorexie : en voulant surprotéger sa fille autant qu’elle a elle-même été laissée à l’abandon, sans amour et sans soin, Béatrice a provoqué l’émergence d’une victime « collatérale » en la personne de son fils. Samuel, pour sa part, s’est retrouvé investi bien malgré lui du rôle d’enfant thérapeute mentionné dans le titre. Mais, comme il le dit, un enfant ne doit pas être investi d’un tel devoir envers ses parents : ce n’est pas à l’enfant de soigner ses parents, c’est voué à l’échec.
La clef de la réconciliation qui est au bout du tunnel des vies de Samuel et de sa mère (car s’il est envisageable de se réconcilier, tout n’est pas pardonnable : « Tout ne peut pas être rattrapé. Tout ne peut pas être guéri. Tout ne peut pas être pardonné. Mais il est possible de parler. Il est possible de vivre. »[1]) réside dans la volonté de chacune des personnes concernées de faire une partie du chemin et du travail de réconciliation : pour se réconcilier avec l’autre, il convient de commencer par se réconcilier avec soi (comme le dit Samuel Dock : « la première personne à aimer, c’est soi-même »[2]). Se réconcilier d’une part avec ce que l’un a vécu et fait (pour Béatrice, se réconcilier avec les sévices et rejets dont elle a été victime et que, victime se transformant en bourreau, elle a répercuté sur ses enfants), et d’autre part avec ce que l’autre n’a pas pu faire (pour Samuel, accepter qu’il ne puisse pas réparer sa mère).
Endosser le rôle d’enfant thérapeute était d’autant moins évident que Samuel ne connaissait pas toute la vérité sur l’enfance abominable vécue par sa mère. D’elle il ne sait « que » que « c’était la dernière d’une famille de quatorze enfants. Ils vivaient à Harly en Picardie. Elle a été placée quand elle avait cinq ans, et tes grands-parents ont perdu l’autorité parentale. Elle est restée au pensionnat religieux jusqu’à l’âge adulte, et puis elle en est partie. (…) Voilà, ce sont les éléments qu’on sait. On connaît les données objectives. Mais on ne sait rien du tout, en fait. On suppose la douleur. Mais on ne l’approche pas. Il est difficile de savoir ce qui aurait pu être changé, ce qui n’aurait jamais bougé. (…) elle n’a jamais raconté quoi que ce soit d’autre. Elle n’a jamais donné les détails. Je pense qu’on peut se faire, simplement, une idée. (…) Une idée de l’enfer »[3], celui décrit dans le journal fictif d’une fille rejetée et brutalisée, physiquement par sa fratrie et psychologiquement par ses parents.
Samuel a donc dû faire un travail de son côté pour pouvoir accueillir la parole de sa mère et celle-ci a dû aussi faire son chemin pour pouvoir en parler puis pour l’accepter et s’ouvrir à une autre relation avec son fils. Samuel ne découvre ainsi certains détails de la vie de sa mère qu’à la trentaine passée, il y a quelques années à peine… D’où la nécessité pour lui d’en faire un récit et un témoignage mais sous une forme romanesque pour mieux pouvoir « penser l’horreur et la matérialiser »[4], pour parvenir à « se confronter à la réalité, à la sublimer et se réapproprier les drames par une approche littéraire »[5]. A contrario, ce chemin, le père de Samuel n’en a aucune conscience et sa sœur en semble psychologiquement incapable : nulle réconciliation, nul état d’apaisement ne parait atteignable vis-à-vis d’eux.
Comme l’a dit Sarah Chiche sur les réseaux en parlant de ce livre, ce témoignage serait vain, « cette histoire personnelle ne (vaudrait) rien, quelle qu’elle soit, si terrible puisse-t-elle être, sans la langue qui la soutient. C’est ce qui la fait passer du simple témoignage singulier à la littérature »[6]. Il convient de souligner la précision du texte et du travail titanesque qu’a dû représenter pour Samuel le choix des mots à mettre sur les maux familiaux. A la douleur de revivre deux passés, le sien et celui de sa mère, a dû s’ajouter celle de la bataille à mener pour les exprimer au plus précis de leurs réalités. Et c’est très certainement ce qui fait qu’il n’y a nul exhibitionnisme, nul mauvais goût, nulle tentative de choquer le lecteur par des mots crus ou exagérés : les faits se suffisent à eux-mêmes.
Le récit de Samuel Dock est un récit âpre, brutal, une histoire de violence et de rejet. Cette généalogie de la violence, démarrée avec les grands-parents de Samuel et poursuivie par la mère de Samuel s’est reproduite ensuite entre Samuel et sa sœur. Par la volonté de Samuel et de sa mère, cette spirale semble vouloir, non pas prendre fin parce que ce qui a eu lieu ne pourra jamais s’effacer, mais arrêter sa rotation vertigineuse. Je ne me prononcerai pas pour sa sœur, mais Samuel semble avoir trouvé une stabilité qui faisait défaut aux générations précédentes : il a pu se réconcilier avec sa mère, il a trouvé une assise sentimentale apaisante qui rayonne autour de lui et de son compagnon. Le cercle vicieux et infernal de la violence est brisé. Ainsi le roman, aussi âpre et brutal soit-il, n’est pas une plongée désespérée dans un abîme de perversion : il est avant tout un chant d’amour réciproque d’un fils et d’une mère l’iun pour l’autre, que celui-ci soit parfois maladroit, déplacé ou masqué par des arrière-pensées ou au contraire simplement exprimé et sincère. Il est un cri de résilience et de survivance.
[1] Citation extraite du livre
[2] Citation de Samuel Dock, issue de la présentation du livre
[3] Citation extraite du livre
[4] Citation de Samuel Dock, issue de la présentation du livre
[5] Citation de Samuel Dock, issue de la présentation du livre
[6] Citation de Sarah Chiche, extraite de sa page Facebook
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