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Titre : A l’ombre de la Butte-aux-Coqs

Auteur : Osvalds Zebris

Traduction : Nicolas Auzanneau

Editeur : Agullo

Riga bien qui Riga le dernier

Riga, 1905. Au tournant du XIX° siècle, la Lettonie est en proie à des tensions politiques nationalistes. L’empire russe est durement malmené et la révolution qui fait rage en Russie provoque des remous un peu partout, notamment en Lettonie à coup de grèves et de manifestations.

Dans ce contexte politique chargé, trois enfants disparaissent en pleine rue au sein de la capitale. Le roman d’Osvalds Zebris se décompose, de manière assez classique somme toute, en plusieurs fils narratifs. L’un se concentre sur les événements liés au triple enlèvement à travers la vision de l’enlèvement par Rudolfs, le kidnappeur, et l’enquête et ses à-côtés avec les partis pris des policiers. L’autre permet au lecteur d’appréhender l’Histoire lettone récente à travers le passé de Rudolfs et d’Arvid, le second protagoniste de ce récit.

Arvid et Rudolfs viennent du même endroit provincial, ont vécu le même style d’enfance, ont traversé la même révolution lettone et pourtant ils ont pris des directions totalement différentes. Les événements historiques qui ont jalonné leur vie depuis l’enfance ne les ont pas « traumatisés » de la même manière. Leurs trajectoires ont commencé à bifurquer dès l’adolescence. Cet aspect du récit d’Osvalds Zebris montre parfaitement bien que l’instruction et l’éducation forment les fondations de la liberté. Les instituteurs l’ont d’ailleurs payée chèrement en étant une des populations les plus martyrisées des événements qui ont secoué la Lettonie : arrêtés arbitrairement, pendus ou exécutés sommairement… ils faisaient partie de ceux qui s’opposaient à la dérive fasciste, antisémite et nationaliste (notamment représentée par des groupes tels que les Cents Noirs) prise par leur pays (dérive nationaliste ouvertement pro-russe et pro-monarchie).

Dans cette Lettonie fascisante, les courants antisémites ont le vent en poupe y compris au sein de la police dont les partis pris sont légions… Osvalds Zebris prend toutefois le soin de contrebalancer ces tendances racistes en positionnant un enquêteur « neutre » qui se concentre sur les faits et ne cèdent pas à la facilité en pointant du doigt des victimes pour en faire des coupables de l’enlèvement. L’auteur sauve la face de son pays…

La liberté est l’un des piliers de ce roman. Rudolfs et Arvid l’appellent de tous leurs vœux. Mais l’un, Arvid, sait rester droit dans ses bottes en se battants pour des idéaux de fraternité et d’égalité tandis que l’autre, Rudolfs, est faible avec ses propres idéaux : il renvoie l’image d’un pleutre qui ne tente même pas d’assumer ses idées ou ses actes, sauf peut-être devant sa mère dans l’espoir vain d’y trouver du réconfort.

A travers ces deux personnages et à travers l’histoire de la Lettonie, deux notions de la liberté s’affrontent ouvertement. Il y a la liberté en tant qu’indépendance et émancipation par rapport au tsar et à la Russie (avec la crainte des représailles). Il y a aussi la volonté pour certains de prendre leurs distances avec leurs démons intérieurs.

L‘intérêt du livre d’Osvalds Zebris ne réside donc pas dans la résolution de l’enquête sur le triple enlèvement : on sait qui l’a fait, la découverte de sa cache n’est qu’une histoire de temps… Cet enlèvement n’est qu’un prétexte même si les trois enfants kidnappés ne le sont pas innocemment ou gratuitement. Ils ont été choisis en fonction du passé de Rudolfs. Mais les actes de Rudolfs s’inscrivent dans une histoire plus ancienne et plus complexe qu’une basique question de vengeance. C’est ce contexte historique global qui prend tout son sens dans la narration d’Osvalds Zebris et qu’il rend parfaitement bien.

C’est une aussi belle réussite qu’une bonne découverte !