Texte – Nez

Je suis un « NEZ », un « No Escape Zone », un soldat dont les compétences et les talents particuliers font qu’il ne connait jamais l’échec ni sa cible aucun répit, aucun espoir, aucune échappatoire. Je suis le meilleur. Et ceci est le rapport de ma dernière mission.

Pluton – 2325 A.D.N.I.C – Op.K141 – Traque et élimination de la cible Amadeus

J’ai toujours fantasmé sur le fait d’être un jour un NEZ. Attribuez cela au sacro-saint prestige de l’uniforme ou à l’attrait de la profession la plus élitiste, la plus dangereuse et la plus rémunératrice qui soit, si vous le voulez, mais je sentais au tréfonds de mon être que j’étais fait pour cela. Une sorte d’instinct ou de flair me dictait mon avenir professionnel. Enfant, j’étais persuadé qu’on naissait NEZ et que la période de l’enfance à l’âge adulte, en passant par l’âge ingrat de l’adolescence, n’était qu’une école de patience et une perte de temps jusqu’à l’épanouissement que représentait, à mes yeux, le fait d’être élevé au rang de NEZ. Me rendant finalement compte que rien n’était gratuit en ce bas monde, j’étais prêt à toutes les bassesses et à toutes les extrémités pour parvenir à mes fins, quitte à entacher les soi-disant noblesses et puretés de ce métier de mes viles exactions. Je n’étais pas, et de loin, le seul à avoir cet état d’esprit et je ne dois être ni le premier ni le dernier à avoir usé de méthodes dépassant les limites de la légalité. Je pense être un de ceux à avoir le plus paver le chemin de l’enfer de bonnes intentions.

Elève plus que médiocre, ayant pourtant fréquenté les internats réputés les plus sévères et aux méthodes les plus efficaces, j’ai dû dès le départ tricher pour pouvoir intégrer la seule et unique école de NEZ de la galaxie. Quand j’ai enfin eu mon diplôme en poche, brillamment si je ne me base que sur mes résultats, frauduleusement si j‘en fais appel à ma conscience, j’ai été recruté par la seule entreprise employant les personnes dotées de ma formation et de mes capacités : le méta-gouvernement qui administrait la méta-société des planètes recensées des espaces connus et inconnus. Si tant est qu’il m’a fallu frauder, je n’en étais pas moins doué, du moins pour ce qui était de la pratique. La théorie me barbait mais il suffisait qu’on me donne l’occasion de prouver ce dont j’étais capable sur le terrain pour me rendre indispensable. Au demeurant, ma carrière et mes faits d’arme compilés dans les archives méta-gouvernementales parlent pour moi. Je n’ai rien à prouver.

Mon outil de travail est un vaisseau de type Phantom. Le dernier modèle : le plus rapide, maniable, furtif, intelligent. En un mot le meilleur. Comme moi. Un NEZ ne doit faire qu’un avec son vaisseau. C’est le b.a.-ba de la profession. Le premier truc qu’on vous apprend c’est à créer une symbiose avec lui et à rester connecté à son ordinateur de bord. En permanence. Cette connexion n’est  pas ce qui permet de réussir une mission, l’échec n’étant pas une option, mais c’est ce qui peut vous éviter de mourir. Nous devons tous réaliser nous-même notre « nose art », la peinture de nez de notre vaisseau. Le premier dessin apposé sur notre premier vaisseau est censé nous suivre tout au long de notre carrière. J’avais pris le soin de choisir un emblème qui me représenterait durablement et fidèlement. J’ai opté pour l’abeille. Cet insecte est, toujours, pour moi, à la fois synonyme de légèreté, de vitesse, de précision, trois qualités assez représentatives parmi toutes celles indispensables à notre survie et à nos succès.

Après cette (un peu trop longue) introduction sous forme de curriculum vitae succinct à laquelle je me devais de procéder, j’en viens enfin à la mission qui m’était confiée et à la cible qui m’était « affectée ».

Son nom de code, Amadeus, n’avait pas été choisi au hasard. C’était l’un des éléments les plus doués et les plus subversifs de notre méta-société, si ce n’est le plus doué et le plus subversif. Et par là même le plus dangereux.

Le monde dans lequel le méta-gouvernement nous fait végéter est régi par tant de codes qu’un inventaire à la Prévert déborderait à lui seul du strict cadre imposé par le format limité de ce rapport. Mes digressions liminaires toutes personnelles me privent certes d’un espace d’expression non négligeable, mais, encore une fois, elles étaient nécessaires pour vous faire comprendre à quel point ce qui suit n’aurait jamais dû arriver. Je ne surprendrai personne en rappelant que la règle première, celle qui commande toutes les autres, prévoit que tout individu doit être fiché, enregistré, analysé, séquencé et tracé de sa naissance à sa mort. C’est une règle tellement ressassée qu’elle est aujourd’hui communément acceptée par tout le monde… ou presque… Une poignée d’irréductibles tente d’échapper à ce contrôle absolu de nos vies. Rejet de l’ordre établi, volonté de préserver leur intégrité physique et psychique, souci de proposer une alternative au formatage de nos existences imposé par les méta-gouvernements, besoin de créer un contre-pouvoir… toutes les raisons sont bonnes pour autant qu’on se situe de l’autre côté de la barrière de la loi, là où certaines personnes parviennent à déjouer une partie des contrôles.

Amadeus allait plus loin encore : c’était la première cible à avoir la faculté de brouiller tous les systèmes de contrôle existants. Un être unique, une sorte de Mozart du camouflage, d’autant plus dangereux pour le méta-gouvernement qu’elle savait a priori également transmettre ce don.

Pour annihiler cette menace, c’est à moi qu’est revenu le privilège de traquer, appréhender et réduire à néant la cible. Si un être humain pouvait contrecarrer toutes les technologies les plus évoluées de recherche et de contrôle, là où les machines avaient échoué, seul un autre être humain pouvait réussir, seul un NEZ en était capable.

Malgré mes talents et mon flaire, la traque n’en fut pas pour autant une partie de plaisir : des mois passés à tenter d’infiltrer les réseaux révolutionnaires, des mois à voyager de planète en planète, de systèmes en systèmes, à la poursuite de la moindre trace de la présence de ma cible, des mois à me raccrocher au moindre indice, au moindre témoignage, à la moindre lueur d’espoir que je découvrais dans le regard des rares témoins que je parvenais à dénicher. Et pourtant, je savais que je ne pouvais pas échouer. La réussite est inscrite dans mes gênes, ceux dont j’ai hérité à ma naissance et ceux qui m’ont été inoculés avant cette ultime mission, ceux de tous les NEZ qui m’avaient précédés, avec toutes leurs expériences, toutes leurs mémoires olfactives et leur absence totale d’échecs. Ne me demandez pas comment les scientifiques du méta-gouvernement avaient réussi la prouesse technologique consistant à transformer tout cela en autant d’informations que je pouvais invoquer et utiliser à n’importe quel moment. Je suis peut-être le meilleur dans ma catégorie mais en dehors de cela, je ne sais rien, je ne comprends rien.

Plus je pataugeais et plus je trainais avec moi une sensation diffuse de n’être pas tout à fait entier, de n’être pas pleinement moi. Le fait de flirter dangereusement avec l’échec créait en moi un fort sentiment de doute. C’est cette impression de non plénitude qui est… Mais je vais trop vite.

Si contrairement au noble Cyrano dont le profil ornait notre diplôme nous n’avions pas tous physiquement un nez en forme de péninsule ou de cap, nous étions tous métaphoriquement parlant de fins limiers dont l’instinct et les talents purement militaires n’avaient d’égal que notre faculté à percevoir, avec une acuité surnaturelle, les odeurs et les traces olfactives abandonnés par nos cibles. C’est ce qui fait notre particularité et justifie notre acronyme.

J’ai pu décomposer la signature olfactive de ma cible en une harmonie de cerise noire et de bergamote pour la note de tête, de rose noire pour la note de cœur et de thé fumé et de patchouli pour la note de fond. Ces notes dressaient un tableau sensuel et délicat de ma cible, des fragrances essentiellement féminines et pour tout dire attirantes. Cette combinaison, pensais-je, me donnait la seule et unique piste qui me restait pour arriver jusqu’à elle, les autres ayant abouties à des impasses. Mais cela n’allait pourtant pas se révéler suffisant.

Un jour, un peu par hasard, je détectais la présence d’un nouveau type d’odeur que je n’avais jamais senti ailleurs et qui semblait compléter l’empreinte olfactive laissée par ma cible. Je n’en trouvais aucune trace dans les souvenirs de mes prédécesseurs. Cette singularité avait le parfum de la vérité, de la sincérité et je décidais de la nommer « note de profondeur ».

C’était cette nouvelle essence, que je sentais ne pouvoir être qu’exclusive à ma cible, qui allait, enfin, me mener à bon port. La question qui me taraudait était de savoir si ma cible était vraiment la seule à posséder une note de profondeur…

Alors que j’approchais de la porte du dernier refuge de la femme que je traquais depuis si longtemps, de nombreux souvenirs olfactifs remontèrent brutalement dans ma mémoire, issus je ne sais d’où. C’était comme si tous mes sens avaient été obturés pendant des années par des barrières invisibles qui s’étaient soudain évanouies.

Je me souvins alors de tout. Ce fut comme une tempête dans mon crâne, une onde de choc spirituelle qui se propageait dans tout mon corps. Je ressentais physiquement l’afflux de souvenirs déclenché par la note de profondeur de ma cible. La source de son pouvoir, qui lui permettait d’échapper à toute recherche et tout contrôle, se cristallisait dans cette note dont la concentration paroxystique pouvait libérer n’importe qui des chaînes qui entravaient son existence. Cette note de profondeur avait en fait, je le pressentais, un caractère universel et pouvait toucher n’importe qui. Je comprenais maintenant pourquoi ma cible était devenue la priorité numéro un du méta-gouvernement. Je comprenais également que c’était parce qu’elle était parvenue à brider ses flux odoriférants qu’Oniko avait pu conserver son anonymat jusqu’à présent… jusqu’à moi… Et pour moi, pour moi seul, elle avait décidé de laisser libre cours à son pouvoir, de le laisser m’atteindre mais surtout de me laisser la trouver.

Ma nouvelle conscience et mes récents souvenirs m’avaient reconstitué, chamboulé, transfiguré, laissant des vagues de fragrances me submerger et me noyer dans un océan de senteurs plus harmonieuses les unes que les autres. Oniko m’avait aussi fait don, je m’en doutais, de la possibilité de développer moi-même ce pouvoir. J’avais conscience des efforts qu’il me faudrait fournir pour le maîtriser.

Je savais que je n’avais plus d’autre choix que de passer en résistance à mon tour. Je ne pouvais pas continuer à exister, je ne pouvais pas être enfin moi, un moi totalement reconstitué et entier, en restant aux ordres du méta-gouvernement. Il me faudrait dans un premier temps me terrer avec ma cible. Cela tombe bien, je suis plus que doué pour cela.

Voilà. Ceci est plus une lettre jetée dans l’espace dans une capsule qu’un véritable rapport. Il est vraisemblable qu’il sera étouffé par mon ancienne hiérarchie. Mais si un jour, un lecteur tombe sur ces lignes, pour peu qu’il fasse preuve d’un peu plus de jugeote et de subtilité que les gradés derrières leurs bureaux, il saura trouver les indices qui le mèneront sur la voie de la note de profondeur et de notre cachette. Alors nous nous dévoilerons à lui et nous en ferons le premier d’une lignée d’êtres à même de faire chuter le méta-gouvernement. Alors viendra le jour où nous cesserons de nous terrer.

Pluton – 2327 A.D.N.I.C – Op.K141 – Exfiltration de la cible Amadeus

J’étais un « No Escape Zone ». J’étais le meilleur. Et ceci est le récit de ma défection. Vous ne retrouverez jamais Oniko tant que je ne l’aurai pas décidé. Parce que contre toute attente j’ai fait le choix de la protéger. Parce que je suis le seul capable d’échapper aux êtres de mon espèce que vous pourriez être tentés de lancer sur nos traces sidérales.

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5 réflexions à propos de “ Texte – Nez ”

  1. Ce fut comme une tempête dans mon crâne 🙂 Merci pour ce moment 😉

  2. L’introduction est parfaite, bam ! bienvenue dans mon histoire, cher lecteur.

    Je suis positivement surprise par ton vocabulaire, c’est enrichissant de lire un style complet. J’ai préféré cette nouvelle à footu, plus fluide, plus intelligente aussi, peut-être.

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