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Titre : Demain la brume

Auteur : Timothée Demeillers

Éditeur : Asphalte

Génération universelle

Première incursion dans le catalogue d’Asphalte : première pépite ! Ce roman est d’une subtilité et d’une beauté rares.

Deux fils conducteurs constituent la trame de ce roman en plein dans les années 90. Le premier se situe en France avec Katia et Pierre-Yves : deux êtres ballottés par la vie, un peu à la marge et en rupture avec leurs attaches. Le second se déroule en Yougoslavie, au moment charnière de sa violente explosion ethnique, raciale et religieuse avec Nada, Ivan et Damir, serbes et croates.

Le récit de Timothée Demeillers se forge dans la question du racisme et donc de la haine. Pour ce faire, il fait se réunir puis s’affronter (et se désillusionner comme pour mieux souligner l’inéluctabilité des frictions liées au rejet de l’autre) Katie et Pierre-Yves, elle la noire qui a tout fait pour se construire en dehors de la couleur de sa peau et lui le blanc qui descend lentement mais sûrement une pente savonneuse vers la haine qui n’ose pas dire son nom, qui cache ses pensées intimes et son rejet de l’autre. Pour ce faire, il crée une amitié a priori sans faille entre un serbe et un croate, réunis par l’amour de la musique et la présence d’une fille, Nada mais que la politique yougoslave va faire exploser en plein viol, à coup de coups de poings, d’uppercuts que le lecteur se prend aussi dans le ventre.

L’histoire de Timothée Demeillers est sans concession, avec un aspect implacable, mais elle est écrite avec passion et amour dans un style où chaque mot trouve sa juste place et apporte toute sa force au récit.

Et puis, Timothée Demeillers évite de faire de ses protagonistes des caricatures. Quand bien même ont-ils pour vocation de personnifier des travers sociétaux, ils ne sont pas outranciers, ils ont tous leurs failles, leurs aspérités, leurs angles… ils sont très humains, y compris dans ce qu’ils peuvent avoir de plus détestable.

L’Histoire ballotte les protagonistes de Timothée Demeillers qui ne sont pas toujours acteurs de leurs propres vies, à l’exemple d’Ivan. Celui-ci, non seulement, devient l’icône d’un peuple malgré lui, mais en plus, alors même qu’il s’engage dans l’armée, il reste passif quand son acolyte Damir se fait exclure du groupe en sa qualité de serbe, quand il se fait instrumentaliser à qui mieux mieux (alors qu’il a parfaitement conscience de ce qu’il se passe) ou quand il observe « le français », combattant du côté serbe, se faire tabasser.

Au sujet de la dramatique guerre yougoslave, l’auteur ne prend pas position. L’objet du récit n’est pas de distribuer les bons et les mauvais points entre serbes et croates mais bien de montrer comment les haines s’exacerbent au point d’opposer d’anciens amis. Le concept de haine est universel : il s’inscrit dans l’ADN de l’humanité et Timothée Demeillers le démontre avec brio.

D’un récit ancrée dans une génération aujourd’hui vieillissante, Timothée Demeillers parvient à faire quelque chose d’universel. Même si l’histoire en elle-même est forcément datée et fixée dans une époque révolue, les thèmes abordés n’ont jamais été aussi présents et importants dans notre société.

A lire absolument.