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Titre : Avant la forêt

Auteur : Julia Colin

Editeur : Aux Forges de Vulcain

Au cœur battant de la forêt

L’économie mondiale, la production globale et l’énergie s’effondrent et de font rares. La France, théâtre de ce roman, ne fait pas exception à la règle universelle et la guerre civile fait plus que couver : des groupes militarisés prennent d’assaut des villes, dans d’autres c’est la pègre locale qui fait main basse sur l’organisation économico-politique locale, ailleurs ce sont des communautés que se cristallisent autour de milices protectrices.

C’est ainsi qu’Elie, un garçon de dix-huit ans, débarque à Massat avec ses parents et Calme, une jeune fille de dix-sept ans, son amie d’enfance dont les parents ont disparu au cours de leur fuite depuis Paris. A Massat, les parents de Calme possède un titre de propriété et les parents d’Elie, se faisant passer pour ceux de Calme, y posent leurs modestes bagages. L’intégration est d’autant plus compliquée que Calme refuse de participer à la milice locale, composée de jeunes adultes qui, sous couvert de favoriser l’entraide, font malgré tout vivre le village dans une forme de dictature.

Si Calme s’extrait rapidement de la société civile de Massat, c’est qu’elle se découvre une relation particulière avec la Nature au point de ne faire petit à petit plus qu’une avec celle-ci à travers une symbiose littérale.

Le rapport aux autres est au centre du roman de Julia Colin, primo-romancière, ayant fait des études de cinéma. Les premières pages du récit décrivant la fuite d’Elie, de Calme et des parents de Paris à Massat se concentrent sur la violence entre les êtres humains. Dans une société chaotique où l’état a abdiqué, les tensions nées des absences, des pénuries, des menaces permanentes sont exacerbées. La violence est partout même s’il arrive que celle-ci soit source d’une certaine stabilité comme c’est le cas à Marseille dirigée par la pègre. Mais qui dit stabilité ne dit pas liberté. Raison pour laquelle Elie et sa famille continuent vers Massat.

Le mode de vie en autosuffisance, basée sur l’entraide et le troc, pourrait apparaître comme une société idéale. Mais là aussi, autonomie et entraide ne signifient pas liberté. Les règles y sont aussi strictes qu’ailleurs quand bien même elles ont été édictées au nom de bien du plus grand nombre. La société idéale est illusoire. Le monde des hommes n’est pas un monde juste ni égalitaire.

C’est pourquoi la confrontation entre les humains, la « patrie » d’Elie, et la Nature, celle de Calme, est inévitable. Est-ce que cette dernière, au moment de l’affrontement final, saura se souvenir qu’une part d’elle a été humaine ? Fera-t-elle table rase de Massat ? C’est toute la question des changements qui s’opèrent chez Elie et chez Calme, pour le meilleur ou pour le pire.

Que Julia Colin ait un passé dans le cinéma n’est pas innocent à l’efficacité de sa narration. Sans parler de « page turner », il est indéniable qu’une fois entré dans le livre, impossible pour le lecteur de le lâcher. C’est aussi du à la qualité du travail de Julia Colin dans le traitement de ses protagonistes : Elie et Calme bien entendu mais il ne faut pas oublier la cheffe de la milice et fille du maire ou celui qui deviendra le meilleur ami d’Elie au sein du village.

« Avant la forêt » fait clairement partie de ces romans qui font appel au réalisme magique, contexte post-apocalyptique dans lequel il se déroule ou pas. En fait, ce roman, grand bien lui fasse d’ailleurs, est inclassable. Il parle aussi bien aux jeunes (il pourrait être présenté en YA vu l’âge des deux principaux personnages), qu’aux amateurs de fantastique, de post-apo, de roman d’initiation, de roman féministe (les personnages les plus forts mais aussi les plus durs sont féminins), de roman écologiste…

Il fait tout aussi clairement partie des réussites de cette rentrée littéraire 2023.