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Titre : L’odyssée des étoiles

Auteur : Kim Bo-Young

Traduction : Kyungran Choi et Pierre Bisiou

Editeur : Rivages

Titre : Les vagabonds

Auteur : Richard Lange

Traduction : David Fauquemberg

Editeur : Rivages

L’odyssée des vagabonds

Même si cette collection pourrait s’apparenter à la résurrection d’une ancienne collection Rivages, je préfère voir cette collection de récit d’imaginaire, plutôt orientée SF pour l’instant même s’il y a déjà des incursions dans le fantastique et potentiellement un pas vers la fantasy à venir, comme une création basée sur l’envie de son directeur de collection et la connaissance qu’il a de ce domaine. Cette conjonction d’envie et de savoir donne, pour ce que j’ai eu la chance de lire jusqu’ici, à savoir « L’odyssée des étoiles » de Kim Bo-Young et « Les vagabonds » de Richard Lange, accouche de récits vraiment hauts de gamme.

« L’odyssée des étoiles » est un pur récit de science-fiction virant à la métaphysique. Un couple de fiancés s’arrange pour coordonner leurs voyages spatiotemporels pour arriver en même temps à leur mariage. Une succession d’événements, certains le fruit du hasard d’autres dérivant de leurs choix, hasardeux aussi parfois, provoque une accumulation de retards dans leurs voyages respectifs.

Kim Bo-Young construit son récit en trois parties. Les deux premières sont écrites sous forme de récits épistolaires : le premier par le fiancé et le second par sa future femme. Les lettres de chaque protagoniste répondent aux lettres de l’autre ; toutefois, elles sont décalées dans les temps (et dans l’espace) les unes par rapport aux autres et, clairement, aucune ne parvient à son destinataire en temps et en heure. Le lecteur découvre, à leur place, leurs efforts, à la fois constants et vains, pour parvenir à se retrouver. Ces deux parties possèdent une poésie qui en font autant un grand roman d’amour qu’un grand roman de SF, bousculant le lecteur dans ses sentiments comme dans ses repères spatiotemporels. Une manière intéressante de relire ces deux parties pourrait être de reconstituer l’enchainement chronologique des lettres, en mélangeant celles du fiancé et de sa future épouse, pour casser la présentation telle que l’auteur l’a voulue.

La troisième partie fait abstraction de l’histoire d’amour pour évoquer la recherche de celui qui pourrait être le fils de ce couple, partant à la poursuite d’un rêve : atteindre les confins de l’univers. Dans cette partie, Kim Bo-Young laisse plus libre cours à l’aspect science-fictionnesque de son histoire. Suivre le voyageur du temps dans ses pérégrinations se révèle complexe pour le lecteur. Moins poétique et plus scientifique, cette dernière partie est exigeante et demandera au lecteur de se laisser porter par l’espace et le temps qui lui échappent, d’accepter de se perdre avec le voyageur jusqu’aux confins du récit et de fondre en lui, accepter le fait qu’un récit ne mène pas forcément à la compréhension car le voyage est parfois pus important par son trajet que par sa conclusion.

Il y a un petit côté homérien dans le récit de Kim Bo-Young dans la mesure où ceux qui entreprennent un voyage erratique (involontaire pour les deux fiancés et recherché par le personnage de la troisième partie) traversent leurs voyages respectifs à travers des péripéties qui sont comme autant d’épreuves. Qui atteindra son objectif ? Je vous laisse lire le livre…

Dans « Les Vagabonds », Richard Lange utilise la figure du vampire (les « vagabonds » du titre) pour écrire sur l’Amérique rurale, l’Amérique profonde par opposition à l’Amérique des grandes villes. Ses personnages, qu’ils soient immortels ou pas, sont des « petites gens », de la trempe des loosers pas toujours magnifiques.

On est en 1976, deux frères immortels, arpentent le Sud-Ouest des Etats-Unis. Le plus ancien des deux a été changé par une de ses amantes avant de transformer son frère, simple d’esprit, à la mort de leur mère, ne trouvant que ce moyen pour pouvoir le prendre en charge. Ils sont accompagnés d’un chat vampirisé par le benêt. Ils croisent successivement la route d’une jeune indienne, humaine, qui rappelle à Jesse son amour d’antan, un gang de motards uniquement composé de vagabonds qui vont poursuivre Jesse, Edgar (son frère handicapé mental), Johana (la jeune indienne) par vengeance, et un père de famille parcourant les Etats-Unis à la recherche de celui qui a tué son fils, camé et paumé, vidé de son sang par un vagabond.

Richard Lange joue avec tous ses personnages, par malice, par vice et par jeu. A travers son récit, impossible de déterminer avec certitude qui est un monstre, qui est une victime, qui possède une âme et qui n’en a pas.

Le gang de motards a beau n’être composé que de vagabonds violents, ils n’en sont pas moins conscients des turpitudes ségrégationnistes des humains du sud de cette Amérique profonde. Il y a dans le livre une scène extraordinaire où les membres du gang s’arrêtent dans un rade arborant un drapeau confédéré et où l’un des membres du gang, ayant vécu la guerre de Sécession, s’en prend violemment au propriétaire du bar !

Jesse et Edgar ont beau se nourrir de sang humain (une fois par mois), Jesse fait tout pour protéger Johana, certes touché par sa ressemblance avec celle qui l’a transformé mais les sentiments que cette rencontre ont réveillés lui confèrent une certaine humanité.

A l’inverse, le père parti sur les traces du ou des assassins de son fils, par ailleurs paumé et camé, brandit l’étendard de la justice et réclame la vérité alors qu’il ne répond qu’à un besoin primal de vengeance. Cet appel irrépressible l’entraîne sur un chemin de violence et le pousse à agir comme le monstre qu’il devient petit à petit.

Si tout n’est que nuance de gris, Richard Lange n’oublie pas qu’il écrit un roman aux relents putrides, gothiques, noirs… tout n’est pas bien qui finit bien chez Richard Lange, quand bien même il saupoudre comme une sorte de morale lors de la conclusion de son récit.

« Les vagabonds » est aussi un grand roman d’atmosphère. Richard Lange n’a pas son pareil pour installer une ambiance autour de motels miteux en restaurants paumés en bord de route. Il n’est pas innocent que les vampires fréquentent ces lieux crasseux entre tous : c’est là qu’ils peuvent trouver en toute discrétion leurs proies, constituées de clochards, de paumés et de drogués, tellement invisibilisées aux yeux de l’Amérique.

« L’Odyssée des étoiles » et « Les vagabonds » sont deux très bons textes, variés dans leurs thèmes, leurs formes et leurs écritures, mais qui montrent qu’on peut faire des livres d’imaginaire qui soient aussi distrayants que profonds. Et puis, il y a une idée commune d’errance dans les deux titres que j’ai mis en parallèle, de l’odyssée au vagabondage, que je trouvais amusant de mettre en avant.