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Titre : Les mains vides

Auteur : Valerio Varesi

Traduction : Florence Rigollet

Editeur : Agullo

Aux innocents…

« Les mains vides » est la quatrième enquête du Commissaire Soneri, personnage récurrent de Valerio Varsi, après « Le fleuve des brumes », « La pension de la via Saffi » et « Les ombres de Montelupo ». Cette histoire peut se lire séparément des autres, sans les avoir lues, mais 1/ vous auriez tort de vous en priver si ce n’est pas déjà fait et 2/ il vous manquerait quelques éléments de contexte sur les personnages (qui ne nuirait en rien au récit proposé ici).

Dans la chaleur moite et étouffante de l’été parmesan, Soneri enquête sur la mort de Galluzo, fripier, marchand de vêtement, retrouvé mort chez lui. Il semble avoir succombé à une séance de menaces ayant mal tournée perpétrée par les hommes de main d’un usurier de Palerme, Gerlanda.

Comme souvent, les faits sont parfois trompeurs. Ils ne se limitent en tout cas pas à la simplicité que leur présentation laisse entrevoir.

En fait, on se fiche de l’enquête, un peu comme Soneri, un peu comme Valerio Varesi. Son commissaire a beau tout faire pour la mener à bien, ce qui intéresse notre auteur, ce n’est pas tant ici de résoudre un crime que d’aborder deux thématiques omniprésentes. L’une n’étant qu’un prolongement de la première.

Il y a tout d’abord la mutation profonde qui s’opère sur la ville de Parme. Elle est à ce point prégnante que policiers comme suspects la ressentent et le disent. Le commissaire l’avoue explicitement en analysant le fait que « les raisonnements de Gerlanda exprimaient ce que lui-même avait saisi de la ville : un abandon passif et une accoutumance qui la rendaient méconnaissable », avant d’ajouter que « la seule conclusion à laquelle je suis arrivé, c’est que cette ville ressemble de plus en plus à un corps affaibli, prêt à attraper n’importe quelle maladie ». Le juge qui travaille avec Soneri sur l’affaire renchérit aussi : « les équilibres de cette ville sont en train de changer, et d’après moi, cette affaire va nous dire comment ».

On voit bien que l’intérêt n’est pas de trouver le coupable mais de comprendre ce qui s’opère sur la ville. Soneri et le juge sentent bien ce changement arriver, comme s’il était annoncé par la chappe de plomb qui étouffe la ville et qui finira tôt ou tard par faire éclater un orage qui lavera la ville de la chaleur. Comme cette affaire balaiera les équilibres existant : la pègre est amenée à changer de visage et l’usurier, symbole du monde qui va devoir disparaitre et laisser la place à de nouvelles méthodes, à de nouveau visages, est appelé à perdre ses prérogatives et ses territoires.

Il y a ensuite la résignation qui sous-tend toutes les tentatives de révolte qui agitent la ville. Elles devraient accompagner la mutation mais elles sont toutes vaines. En arrière-plan de l’histoire principale, la ville est agitée de soubresauts revendicatifs ouvriers et de la révolte de la jeunesse. Mais ils sont tous voués à l’échec comme pour mieux montrer la fin d’une certaine forme de lutte contre le système.

La moiteur qui stagne au-dessus de Parme fonctionne comme un couvercle sur une cocotte : elle étouffe les êtres, les velléités, les révoltes et opère comme un voile oppressant sur ceux qui représentent l’ancien système, qu’il soit du côté de la loi ou de l’autre côté. Soneri et Galluzo, l’usurier, sont deux faces d’une même pièce qui est amenée à ne plus avoir cours. Galluzo le résume dans cette phrase : « l’argent est la nouvelle idole unique et totalitaire. Il ne nous reste plus que deux possibilités : soit en profiter, soit tenter de s’y opposer. Moi, j’ai choisi la première et vous, la seconde. Le seul point sur lequel on se retrouve, c’est le mépris qu’on peut ressentir pour ce monde-là ». Pour autant, ce monde-là verra bien son avènement : Galluzo disparaîtra, Soneri résoudra son affaire (avant tout pour que le lecteur ne soit pas frustré) mais n’arrêtera personne et surtout pas le train du changement en marche et, symbole des symboles, le vieil accordéoniste à qui on a volé son instrument ne le récupérera pas et ne trouvera, dans le nouvel instrument qui lui est offert, aucun nouveau repère…

Ces mains vides sont celles des êtres impuissants face aux mutations extrêmes d’une ville résignée, pataude, étouffée, celles des innocents sacrifiés sur l’hôtel de la modernité.