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Titre : Le mal des ardents
Auteur : Frédéric Aribit
Éditeur : Belfond
L’art et la vie
Le narrateur rencontre Lou dans le métro. Celle-ci se précipite sur lui, l’embrasse et s’enfuit. Il la recroise un peu plus tard sur les bords du Canal Saint-Martin.
Lou crée la symbiose de la vie et de l’art. Elle vit l’art de la façon la plus parfaite, la plus complète et la plus libre. Et elle entraîne le narrateur dans son tourbillon, dans sa tourmente. Et comme le narrateur n’est pas nommé, c’est l’auteur, c’est le lecteur, c’est nous tous. On emboîte donc le pas de Lou dans sa folie totale. Car Lou est aussi victime d’une intoxication alimentaire à l’ergot de seigle.
Si Lou symbolise la synthèse de l’art et de la vie, l’intoxication à l’ergot de seigle en appelle à la symbolique du pain à travers les âges, à travers la religion et à travers l’art aussi, celui-ci incorporant, qui plus est, si souvent la religion à ses thèmes de prédilection.
Pour aller plus loin dans ces entremêlements, Frédéric Aribit ne ménage pas non plus ses efforts (certainement pas vains et plutôt récompensés) et livre quelques pages hallucinées qui ne sont pas sans rappeler les plus belles visions picturales de Jérôme Bosch.
Il y a dans ce livre de profondes réflexions sur la place de l’art, de la religion et sur le positionnement de l’être humain face à ces questions. Pour ce qui est de la religion, les références à Saint-Antoine (et ses visions ou sa folie, comme on voudra) sont édifiantes et le personnage de la mère de Lou concentre dans son discours ce que la religion peut avoir de plus extrême et de plus délirant (à mon humble avis, évidemment).
Lou, et le narrateur avec elle, et donc nous-même lecteurs, porte un regard sans concession sur les « terroristes » de l’art : « Je n’écris pas pour les adeptes des solutions faciles. Les esprits en angle droit. Cette histoire ne plaira pas aux amateurs innombrables du terre-à-terre qui depuis des siècles, terroristes de l’extraordinaire, ont patiemment posé leurs bâtons de dynamite sur les piliers de sable et de vent du merveilleux. », « Comment autant de culture et si peu d’art ? L’art voudra toujours faire chier l’idéal bourgeois de culture, où on entasse, on collectionne, on empile. Accumuler, ils adorent ça ! Mais l’art, ça dégage au contraire, ça jette à la mer. ».
Frédéric Aribit, à travers la figure de la mère de Lou et les actions/réactions/exactions de Lou, fait le procès du dogmatisme, père spirituel de la justice, du fanatisme, de l’aveuglement et de la calomnie qui s’inscrivent dans une filiation légitime.
Et il le fait avec un brio stylistique assez rare pour être souligné : il crée une harmonie exacte entre le fond et la forme dans laquelle il mélange toutes les expressions artistiques et poétiques, où la parole s’habille des atours de la musique, où la musique possède la puissance des images de l’eau et de l’océan, où la vision artistique des personnages est un pamphlet pour la vie. En ce sens, Frédéric Aribit se pose en garde fou d’un certain obscurantisme, en pourfendeur des étiquettes toutes faites qu’on pourrait être tenté de coller à n’importe quel comportement pour peu qu’il ne corresponde pas à nos propres normes.