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Titre : Protocole gouvernante
Auteur : Guillaume Lavenant
Éditeur : Rivages
Expérimental ?
Le premier roman de Guillaume Lavenant est déroutant, mais passionnant, à bien des titres.
Dans une famille bourgeoise comme il en existe beaucoup, dans un pays comme il en existe beaucoup, dans une banlieue comme il en existe beaucoup, une gouvernante comme il en existe beaucoup se présente pour un entretien d’embauche comme il s’en déroule beaucoup.
Mais ce roman est écrit au futur et à la première personne du pluriel. Il s’adresse directement à la gouvernante. Il ne se contente pas de lui fournir une feuille de route. Il se présente à la fois comme un manifeste d’un groupuscule qui veut déstabiliser la société et comme un protocole qui aurait prévu tous les événements du recrutement de la gouvernante jusqu’à la réalisation du plan. Il évoque point par point tout ce qui va se passer, toutes les réactions des employeurs de la gouvernante et ce que cette dernière fera en réponse à ces agissements.
Tout est prévu, tout est planifié, tout est cadré.
Le chaos souhaité par ce mystérieux groupuscule est planifié dans ses moindres détails dans la cadre d’une harmonie et d’une organisation parfaite. Jusqu’au déclenchement même de la révolution et des suites de cette révolution. Comme le souligne avec brio Benjamin Fogel sur son blog, « les outils destinés à faire dérailler le système font aussi système », un peu comme le serpent qui se mord la queue. Dès lors que ce qui peut provoquer la chute d’un système est un autre système, ce dernier ne porte-t-il pas donc en lui-même les prémices de sa défaite, de son inefficacité ?
Le projet est pourtant construit avec l’idée forte de parasiter les familles par la présence de ces gouvernantes particulières. Elles sont programmées pour s’immiscer dans ces familles en phagocytant les interactions entre ses différents membres : endormir la méfiance des enfants en les conditionnant, semer la zizanie entre les parents en prenant petit à petit la place de la mère (ici en séduisant le père), entraîner la mère sur la pente d’une forme de déchéance en insistant sur ses faiblesses (ici l’alcool et la dépression).
Combien y a-t-il d’autres gouvernantes à suivre le même protocole ? Quelle est l’ampleur du mouvement de révolution ? Le roman laisse planer le doute mais l’usage du « vous » et le caractère indéterminé des lieux et des actions peut laisser imaginer un mouvement gigantesque.
Mais d’un autre côté, le terme même de protocole pourrait faire référence à une expérience scientifique. L’issue de cette révolution anticipée, planifiée, prévue laisse planer d’ailleurs un certain doute sur la teneur réelle de ce qui se déroule sous nos yeux : révolutions qui tourne court ? expérience qui permet de tester un scénario dramatique pour voir jusqu’où celui-ci peut se dérouler ?
Le roman interroge autant sur le pouvoir d’inertie d’une société que sur sa capacité à se régénérer dans l’adversité. Au final, que vaut réellement une société face à l’individualisme ?
Sans conclure vraiment à la réussite ou à l’échec de la révolution entamée par ces gouvernantes protocolaires (on n’est d’ailleurs pas très loin d’être en présence de robots imitant de mieux en mieux l’humanité mais en la singeant plus qu’en l’étant réellement : le mimétisme possède intrinsèquement, encore, ses propres limites, il manque d’une bonne dose de naturel), Guillaume Lavenant soutient quand même que la société a besoin, constamment, de se remettre en cause. Se poser les bonnes questions devient presque plus salutaire que d’y répondre…